Cet article m’a été inspiré par la vision que je me fais du surf comme un rapport au monde et à la nature, par mes voyages et plus récemment par un excellent article de Ludovic Falaix, intitulé « La vague touristique du surf », consultable via ce lien :
https://journals.openedition.org/teoros/12998
Extraits :
« Par ailleurs, Goreau-Ponceaud démontre à quel point le développement du surf génère une « lutte des places » (Lussault, 2009), c’est-à-dire des processus de gentrification que les autorités locales peinent à contrecarrer et dont s’accommodent les classes sociales les plus aisées qui voient dans la pratique du surf un puissant levier de distinction sociale. En d’autres termes, si le surf est un vecteur de revitalisation des territoires balnéaires, il est aussi, revers de la médaille, un outil de discrimination sociale et un levier de prospective foncière pensée suivant une perspective spéculative ».
« Ainsi, le surf contemporain est suspecté d’introduire une emprise colonialiste sur le territoire ».
« Le surf moderne qui véhicule un impérialisme culturel et tend à engendrer dans le champ touristique une forme de disneylandisation du monde (Brunel, 2006) est ici analysé dans une perspective ambivalente puisqu’il contribue aussi à revitaliser le lien intime et charnel, voire ontologique, qu’établissent les populations locales avec l’océan ».
Cet article, publié dans une prestigieuse revue scientifique, Teoros, explique comment les stratégies de valorisation territoriale impulsées par les pouvoirs publics et opérateurs touristiques autour du surf engendrent des effets pervers : gentrification des littoraux, dysneylandisation des espaces culturels, saturation du nombre d’écoles de surf et conflits d’usage sur les espaces plagiques, renforcement de clichés qui ensevelissent la diversité des présences au monde, dépouillement des usagers surfeurs de leur propre objet pour des enjeux purement matérialistes.
En écho avec ces observations, Eco-Safe Surfing s’inscrit dans une tentative de sortir du « tout business » dans lequel le surf semble s’être engouffré tout azimuts aux quatre coins du globe, en infusant une réflexion sociale et culturelle dans cette course effrénée à la rentabilité qui caractérise, de plus en plus, également le simple pratiquant surfeur. Quelques exemples pour étayer cela :
La montre qui permet au surfeur « bagué » de compter le nombre de vagues qu’il a attrapées en une session ainsi que les kilomètres parcourus, le boat trip qui promet de capitaliser des vagues parfaites sans être distrait quelque interaction culturelle avec l’autochtone mettent en scène, non pas un rapport sensible au monde, mais une consommation balnéaire, tel on achèterait un produit pour s’en gaver.
Voyager sur des littoraux investis par le business du surf conduit aux mêmes observations, exacerbées par la course au profit spéculatif. Et quelques paradoxes :
Ainsi, les écoles de surf françaises sont unanimes pour critiquer les tours operator étrangers qui dispensent des cours de surf sur le territoire français, en pointant des disparités dans la qualité des diplômes, des injustices réglementaires ou fiscales et une forme de néocolonialisme économique. Pourtant, nombre de gérants d’écoles de surf, aux entreprises immatriculées en France, proposent des séjours surf à l’étranger, allant d’une semaine à plusieurs mois, au Portugal, au Maroc, aux Canaries, cours qui ne seront pas toujours encadrés par un moniteur qualifié originaire du pays. A l’image de ceux qu’ils critiquent.
De même, les gérants d’école de surf ressemblent de moins en moins à des surfeurs et de plus en plus à des hommes d’affaire dans l’économie de marché globale, dans le sens où ils ne s’embarrassent pas des codes inhérents à la culture surf, parmi lesquels : les spots ou destinations de surf vierges ou confidentielles doivent le rester, d’autant qu’ils sont devenus bien rares. Or, dans des pays où la loi littorale est impuissante à protéger l’environnement, on continue de monter des « éco-lodges » sur des aires marines protégées et des zones vulnérables à l’érosion, via du réseautage ou grâce à la puissance de notre devise. Ou à les plébisciter en y organisant l’hiver des stages de surf.
Dans tel pays africain, ce sera un gérant d’école de surf française qui, avec les bénéfices de la saison et ses euros, va siphonner le personnel d’un petit entrepreneur local qui loue et donne des cours de surf depuis sa cabane de plage, avec peu de moyens et beaucoup de passion, et qui ouvre une école de surf à deux mètres de lui, toute clinquante et en pratiquant une concurrence agressive. Pourquoi faire ? Pour faire péter le dernier bouton de la chemise de son compte épargne ? Comment en est-on arrivés là qu’aucune règle éthique ne vienne refréner la pulsion de business du surfeur, à l’image d’autres secteurs d’activité ?
Ainsi, cet article de Ludovic Falaix, additionné au mien, invite à penser le surf et son développement autrement. Il en va de notre dignité de surfeurs mais également de l’avenir de notre profession, que d’être capables de questionner cette soif intangible d’expansion économique.